30/06/2011

Progrès.


Pascal Lamy, socialiste de progrès.
Tout récemment, dans la Presse, une nouvelle proprement stupéfiante. Il paraîtrait que, crise ou pas crise, les Carrefour, Leclerc et autres géants de la distribution s’en mettent plein les fouilles en affamant non seulement les producteurs, mais les autres intermédiaires. C'est ce qui ressort d’un rapport publié par l’Observatoire des Prix et des Marges, un service du ministère des Finances. Pour donner une idée, la viande de porc : entre 2000 et 2010, la part des éleveurs dans le prix final est passée de 45 à 36%, celle des abattoirs de 11 à 8,8% et celle des distributeurs de 39 à 55%. Même topo, ou peu s’en faut, pour le lait, les fruits et les légumes. Si on veut bien se rappeler que Carrefour a été récemment condamné à 3,6 millions d’euros d’amende parce qu’il décomptait les pauses-pipi du temps de travail de ses employés, et que la même mésaventure pend actuellement au nez d’Auchan, d’Intermarché ou de Leclerc ; si on sait que bon nombre de caissières de Carrefour sont à temps partiel et touchent le RSA ; si on apprend que Carrefour a fait en 2010 un bénéfice net de 382 millions d’euros, en progression de 11,2% sur 2009 et si on se rappelle que son actuel PDG, M. Lars Olofsson, est payé près de 3 millions d’euros par an (hors stock-options et actions gratuites), on se dit que les salariés du groupe ont parfois du mérite à positiver.

Et puisqu’on parle de philanthropie, je m’en voudrais de ne pas évoquer M. Pascal Lamy. Pour les distraits, je rappelle que M. Lamy est le directeur général de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), comme qui dirait le grand-prêtre de la dérégulation des échanges et du laisser-faire-laisser-passer général et accéléré dont nous sommes témoins depuis une dizaine d’années. Interviewé par Le Monde, M. Lamy déclare sans ambage que «la démondialisation est un concept réactionnaire». Réactionnaire. Il n’a pas dit «fasciste», mais on sent bien qu’il n’aurait pas fallu le pousser beaucoup. Et pourquoi ce concept est-il réactionnaire ? «Parce que, répond M. Lamy, le phénomène est parti pour durer». Le phénomène en question, c'est, on l'aura compris, la mondialisation. Donc voilà : lutter contre un truc qui est parti pour durer, aux yeux de M. Lamy, c’est réac. Par exemple, au XVIIIème siècle, une variole ou un choléra, c’était parti pour durer. Et inventer des vaccins pour les éradiquer, ben, à en croire M. Lamy, c’était réac. Pareil avec l’incendie de Rome : c’était parti pour durer et Néron, qui était tout sauf réac, a laissé cramer la moitié de la ville. En chantant. Néron et M. Lamy sont de vrais amis du progrès. D’ailleurs, pour s’en convaincre, il suffit de lire la suite de l’interview : «Compétitivité salariale indue ? Pas évident, nous dit M. Lamy en tordant le nez, même si la Chine emploie pour le même prix huit salariés quand l’Europe en rémunère un seul». Donc, un salarié chinois travaille beaucoup plus d’heures qu’un salarié européen, coûte en moyenne huit fois moins cher, n’a ni couverture sociale, ni protection juridique mais tout cela, pour M. Lamy, ne saurait être considéré comme du dumping social. Pour la petite histoire, rappelons que M. Lamy, nommé directeur général de l’OMC en 2005, a été reconduit à cette fonction en 2009 suite à un vote par acclamations des 153 membres. C’est dire. A part ça, M. Lamy est un membre important du parti socialiste. Ce doit être ça qu'on appelle le socialisme de progrès.

Bon, changeons de sujet… Ce matin, parmi mes e-mails, je trouve un message d’une certaine Patricia Lelou, intitulé «Votre dossier». Intrigué, je l’ouvre. Un texte m’informe que ma demande de crédit a bien été étudiée et que, pour pouvoir se prononcer, l’organisme a besoin de davantage de renseignements. En conséquence, je suis invité à cliquer sur la flèche qui va bien, là, en bas, pour remplir les différents champs qui me permettront de fournir lesdits renseignements. Rien à dire, si ce n’est que je n’ai jamais fait la moindre demande de crédit ni déposé le moindre dossier, complet ou pas, auprès de cet organisme. Apparemment, c’est le dernier cri en matière d’e-mailing : désormais, pour vous appâter, on vous fait croire que vous avez déjà fait la moitié du chemin. Ou alors, on table sur votre goût du challenge, ou sur votre fierté, en vous donnant l’impression que vous pourriez ne pas être accepté. Ou encore, dernière hypothèse, le gars qui cherche de nouveaux clients en a tellement marre de se faire jeter qu’il tente de se consoler en inversant la démarche et en se faisant croire à lui-même que c’est lui qui jette les clients. En tout cas, ça me semble nouveau, comme façon de faire. J’imagine bien ça dans le métro, le Rom de service qui s’approche de vous et qui vous dit : «Ecoutez, en principe c’est non, mais comme vous avez une bonne tête j’accepterai que vous me donniez un ticket-restaurant à condition qu’il fasse 12 € minimum». Ça ne manquerait pas de chic. Je me demande si ça va se généraliser.

Un truc récent qui semble se généraliser, par contre, c’est le «jeune adulte». Je sais pas si vous l’avez remarqué, celui-là. Jusqu’à il y a peu, quand la Presse nous décrivait (ou plutôt, ne nous décrivait pas) les auteurs de faits-divers violents et autres incivilités plus ou moins sanglantes, elle évoquait des «jeunes». Eh ben, depuis quelques mois, j’ai remarqué qu’elle – la Presse, donc – parle volontiers de «jeunes adultes». Comme je ne pense pas que la moyenne d’âge des incivils ait subitement augmenté, j’en conclus qu’il y a là, soit un nouveau tic journalistique, soit l’obéissance à des instructions précises. Ben oui : une bande de «jeunes» qui casse une vitrine ou cogne sur un policier, ça fait un peu collégien en goguette, caprice passager et gaminerie sans conséquences. Tandis que la même chose de la part de «jeunes adultes», je sais pas si vous sentez bien la nuance, mais c’est tout de suite plus grave. Pour un ministre de l’Intérieur résolu à taper du poing sur la table et à sortir du répressif à grands jets de Kärcher, c’est quand même plus sympa de s’attaquer à des «jeunes adultes» plutôt qu’à des jeunes tout court. Le seul pour qui ça ne fait pas vraiment de différence, en fait, c’est la victime : se faire démolir à coups de poings et de pieds par trois costauds qui vous piquent votre portefeuille, ça ne met pas vraiment en condition pour se poser des questions d’état-civil. Remarquez, il y a une autre hypothèse : peut-être que «jeune adulte», au fond, c'est rassurant. Etre agressé par des gamins de douze ou quinze ans, ça vous a un côté Orange mécanique qui fout un peu la trouille. Tandis qu'un «jeune adulte», lui, on peut toujours se dire qu'il a l'âge légal pour vous casser la gueule. Ça réconforte.

Et à propos de jeunes adultes, une devinette : que deviennent les anciens jeunes semi-illettrés que l’Education nationale balance désormais dans la nature à chaque lendemain de bac ? Réponse : c’est selon. Certains font des études longues et atterrissent dans des entreprises qui, de plus en plus, s’effarent de leur orthographe catastrophique et organisent désormais des stages de formation pour remédier aux carences de notre merveilleux système éducatif. Et les autres ? Eh ben, désormais, ils pourraient bien devenir enseignants. C’est en tout cas l’avis de M. Jacques Grosperrin, député UMP du Doubs et responsable d’une mission d’information sur le recrutement des enseignants. Il faut dire que le métier en est arrivé à un tel point que, ces derniers temps, il y avait pour ainsi dire moins de candidats que de postes à pourvoir. D’où le constat qu’il n’est peut-être plus aussi utile qu’avant d’organiser des concours de recrutement. On pourrait, dit M. Grosperrin, supprimer l'agreg et autres concours et «se contenter d’un entretien professionnel». D’autant – ça, c’est moi qui l’ajoute – qu’un entretien oral permettra de ne pas évaluer l’orthographe du recruté. C’est certainement plus prudent. Seront ainsi admis à enseigner des jeunes adultes semi-illettrés qui contribueront à répandre et à faire prospérer leur carences linguistiques. Après quelques années de ce régime, les dégâts seront devenus irréversibles et on pourra alors, sereinement, procéder à la grande réforme orthographique (lisez : simplification) rêvée par M. Meirieu et ses épigones. Et la boucle sera bouclée.

C’est comme ça que le niveau monte.

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