04/06/2011

Dialogues.

Sitting-Bull et Moctezuma, dialoguistes malheureux.
Aujourd’hui, rien de très exaltant. On dirait que l’actualité se calme un peu. J’en profite pour vous parler d’une de mes vieilles rancœurs. Ça fait un moment que je l'ai sur la patate. Elle porte sur le slogan publicitaire choisi par le musée des « Arts Premiers » du quai Branly.

Déjà, il faut souligner l’arnaque représentée par les mots « Arts Premiers ». Autrefois, on appelait ça « Arts Primitifs ». En clair, les masques africains en bois peint et les tas de cailloux multicolores venus tout droit des prairies australiennes, à quoi pouvaient s’ajouter deux ou trois balafons et quelques tapis en paille tressée. Rien de honteux, mais pas non plus de quoi casser trois pattes à un canard. On admettait communément que c’étaient là les premiers témoignages de l’émergence d’un sens artistique. Quelque chose qui préfigurait d’une certaine façon la Joconde, L’Enterrement dans les blés ou un Stradivarius, mais qui en était tout de même encore assez loin. D’où l’appellation d’Arts Primitifs. Et puis, le politiquement correct aidant, on s’est avisé que le mot « Primitif » pouvait avoir quelque chose de vaguement injurieux. Et c’est vrai que, quand j’explique que le contrôleur de mon métro du matin a l’air un peu primitif, c’est pas vraiment pour en tracer un portrait flatteur. Donc, exit le mot « Primitif », qu’on a remplacé par « Premiers ». Premiers, ça veut dire qu’ils étaient là avant les autres, donc que c’est par eux que tout a commencé ; mais en même temps c’est vachement gratifiant. Qui ne rêve d’être le premier ? « Premier », c’est pour ainsi dire supérieur. Le premier de la classe, c’est l’excellent, celui qui a niqué tous les autres. Donc, habile confusion de sens permettant de faire croire aux gentilles peuplades genre Dogons et autres Massaïs que leurs trois bouts de bois, non seulement sont antérieurs à toute autre production artistique, mais en plus les surpassent toutes. Et voilà, voilà, voilà, tout le monde est content et qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour maintenir la paix en Françafrique…

Là où l’affaire est doublement intéressante, c’est que lorsqu’on va le visiter, le musée du quai Branly, on se rend compte que non seulement ces fameux arts étaient « Premiers », c’est à dire franchement et nettement primitifs, mais qu’en plus ils le sont restés pendant grosso modo quinze à vingt siècles. Parce que rien ne ressemble plus à un masque peint du IVème siècle (après JC) qu’un masque peint du XIXème siècle. Pas un poil d’évolution, ni dans les techniques, ni dans l’expression artistique. Du même, du même et encore du même. Pendant ce temps-là, en Europe, on inventait la perspective, le pointillisme, l’impressionnisme, le cubisme et j’en passe. On aurait peut-être mieux fait de s’arrêter là, d’ailleurs, parce qu’ensuite, l’action painting et tout ce qui s’ensuit… Mais bon, c’est un autre sujet.

D’ailleurs, je m’égare un peu. Au départ, je voulais parler du slogan du musée. Ce slogan phénoménal, je ne sais pas si vous vous en souvenez, c’est : « Les cultures sont faites pour dialoguer ».

Les cultures sont faites pour dialoguer.

Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte de la connerie abyssale de cette phrase.

Déjà, l’idée que « les cultures sont faites pour… ». Faites. Faites pour. On « fait » une culture, et on la « fait pour » quelque chose. C’est nouveau, ça, non ? Je « fais » une culture, moi ? Vous « faites » une culture, vous ? Vous avez le sentiment de la fabriquer, vous, cette culture dans laquelle nous sommes tous immergés comme des poissons dans l’eau de leur bocal ? Et de la fabriquer dans un but précis ? Non mais qu’est-ce que c’est que cette vision utilitariste, industrialiste, prétentieuse ? Alors, maintenant, on « fait une culture pour… », comme on fait un marteau pour planter des clous ou un congélateur pour conserver la bouffe ?

Et puis alors, le summum, c’est « faites pour dialoguer ». Non mais, quel est donc le quarteron d’abrutis qui a pondu une ânerie pareille ? Dialoguer, les cultures ? Mais où ont-ils vu ça ? Vous les connaissez, vous, les grands dialogues interculturels dont l’Histoire nous offre des centaines d’exemples ? Bien sûr que vous les connaissez. Si vous ne les avez pas appris à l’école, le cinéma et la télé se sont chargés de vous renseigner. Les plus notables dialogues interculturels de l’humanité se sont tenus – entre autres – à Troie, à Carthage, aux Champs Catalauniques, à Poitiers, à Azincourt, à Lépante, à Mexico, à Austerlitz, à Trafalgar, à Little Big Horn, à Verdun, à Pearl-Harbour, à Hiroshima, à Dien-Bien-Phû… J’en passe, et des plus sanglants. A chaque dialogue, des centaines ou des milliers de morts. Une barbarie sans nom. Le choc des convictions, des certitudes, parfois des fanatismes. Les cultures sont faites pour dialoguer ? Ben voyons ! Allez donc demander ce qu'ils en pensent aux Aborigènes d'Australie, aux Maoris de Nouvelle-Zélande, aux Sioux et aux Cheyennes d'Amérique du nord, aux Incas d'Amérique du sud... Enfin, à ce qu'il en reste.

J’imagine, l’espace d’une seconde, le débat télévisé sur le thème « Les cultures sont-elles faites pour dialoguer ? ». Animateurs, Yves Calvi et Arlette Chabot. Invités-témoins : M. Gérard Custer, descendant du fameux général de western ;  M. Jumping Bull, descendant de Sitting, chef sioux ; Mme Moctezuma, arrière-arrière-arrière petite fille du roi aztèque massacré par les Espagnols ; M. Teodoro Cortez, descendant du conquistador bien connu… Vous voyez d’ici le tableau.

Mais non. Quelques pseudo-humanistes de la rue de Valois balayent d’un revers de main toutes ces fâcheuses réalités historiques et nous affirment tranquillement que « les cultures sont faittes pour dialoguer ». Puisqu’on vous le dit, vous n’avez le croire. Et puisqu’on vous le dit, ça doit bien être vrai.

Ça fait déjà un moment que le niveau monte.

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