30/06/2011

Progrès.


Pascal Lamy, socialiste de progrès.
Tout récemment, dans la Presse, une nouvelle proprement stupéfiante. Il paraîtrait que, crise ou pas crise, les Carrefour, Leclerc et autres géants de la distribution s’en mettent plein les fouilles en affamant non seulement les producteurs, mais les autres intermédiaires. C'est ce qui ressort d’un rapport publié par l’Observatoire des Prix et des Marges, un service du ministère des Finances. Pour donner une idée, la viande de porc : entre 2000 et 2010, la part des éleveurs dans le prix final est passée de 45 à 36%, celle des abattoirs de 11 à 8,8% et celle des distributeurs de 39 à 55%. Même topo, ou peu s’en faut, pour le lait, les fruits et les légumes. Si on veut bien se rappeler que Carrefour a été récemment condamné à 3,6 millions d’euros d’amende parce qu’il décomptait les pauses-pipi du temps de travail de ses employés, et que la même mésaventure pend actuellement au nez d’Auchan, d’Intermarché ou de Leclerc ; si on sait que bon nombre de caissières de Carrefour sont à temps partiel et touchent le RSA ; si on apprend que Carrefour a fait en 2010 un bénéfice net de 382 millions d’euros, en progression de 11,2% sur 2009 et si on se rappelle que son actuel PDG, M. Lars Olofsson, est payé près de 3 millions d’euros par an (hors stock-options et actions gratuites), on se dit que les salariés du groupe ont parfois du mérite à positiver.

Et puisqu’on parle de philanthropie, je m’en voudrais de ne pas évoquer M. Pascal Lamy. Pour les distraits, je rappelle que M. Lamy est le directeur général de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), comme qui dirait le grand-prêtre de la dérégulation des échanges et du laisser-faire-laisser-passer général et accéléré dont nous sommes témoins depuis une dizaine d’années. Interviewé par Le Monde, M. Lamy déclare sans ambage que «la démondialisation est un concept réactionnaire». Réactionnaire. Il n’a pas dit «fasciste», mais on sent bien qu’il n’aurait pas fallu le pousser beaucoup. Et pourquoi ce concept est-il réactionnaire ? «Parce que, répond M. Lamy, le phénomène est parti pour durer». Le phénomène en question, c'est, on l'aura compris, la mondialisation. Donc voilà : lutter contre un truc qui est parti pour durer, aux yeux de M. Lamy, c’est réac. Par exemple, au XVIIIème siècle, une variole ou un choléra, c’était parti pour durer. Et inventer des vaccins pour les éradiquer, ben, à en croire M. Lamy, c’était réac. Pareil avec l’incendie de Rome : c’était parti pour durer et Néron, qui était tout sauf réac, a laissé cramer la moitié de la ville. En chantant. Néron et M. Lamy sont de vrais amis du progrès. D’ailleurs, pour s’en convaincre, il suffit de lire la suite de l’interview : «Compétitivité salariale indue ? Pas évident, nous dit M. Lamy en tordant le nez, même si la Chine emploie pour le même prix huit salariés quand l’Europe en rémunère un seul». Donc, un salarié chinois travaille beaucoup plus d’heures qu’un salarié européen, coûte en moyenne huit fois moins cher, n’a ni couverture sociale, ni protection juridique mais tout cela, pour M. Lamy, ne saurait être considéré comme du dumping social. Pour la petite histoire, rappelons que M. Lamy, nommé directeur général de l’OMC en 2005, a été reconduit à cette fonction en 2009 suite à un vote par acclamations des 153 membres. C’est dire. A part ça, M. Lamy est un membre important du parti socialiste. Ce doit être ça qu'on appelle le socialisme de progrès.

Bon, changeons de sujet… Ce matin, parmi mes e-mails, je trouve un message d’une certaine Patricia Lelou, intitulé «Votre dossier». Intrigué, je l’ouvre. Un texte m’informe que ma demande de crédit a bien été étudiée et que, pour pouvoir se prononcer, l’organisme a besoin de davantage de renseignements. En conséquence, je suis invité à cliquer sur la flèche qui va bien, là, en bas, pour remplir les différents champs qui me permettront de fournir lesdits renseignements. Rien à dire, si ce n’est que je n’ai jamais fait la moindre demande de crédit ni déposé le moindre dossier, complet ou pas, auprès de cet organisme. Apparemment, c’est le dernier cri en matière d’e-mailing : désormais, pour vous appâter, on vous fait croire que vous avez déjà fait la moitié du chemin. Ou alors, on table sur votre goût du challenge, ou sur votre fierté, en vous donnant l’impression que vous pourriez ne pas être accepté. Ou encore, dernière hypothèse, le gars qui cherche de nouveaux clients en a tellement marre de se faire jeter qu’il tente de se consoler en inversant la démarche et en se faisant croire à lui-même que c’est lui qui jette les clients. En tout cas, ça me semble nouveau, comme façon de faire. J’imagine bien ça dans le métro, le Rom de service qui s’approche de vous et qui vous dit : «Ecoutez, en principe c’est non, mais comme vous avez une bonne tête j’accepterai que vous me donniez un ticket-restaurant à condition qu’il fasse 12 € minimum». Ça ne manquerait pas de chic. Je me demande si ça va se généraliser.

Un truc récent qui semble se généraliser, par contre, c’est le «jeune adulte». Je sais pas si vous l’avez remarqué, celui-là. Jusqu’à il y a peu, quand la Presse nous décrivait (ou plutôt, ne nous décrivait pas) les auteurs de faits-divers violents et autres incivilités plus ou moins sanglantes, elle évoquait des «jeunes». Eh ben, depuis quelques mois, j’ai remarqué qu’elle – la Presse, donc – parle volontiers de «jeunes adultes». Comme je ne pense pas que la moyenne d’âge des incivils ait subitement augmenté, j’en conclus qu’il y a là, soit un nouveau tic journalistique, soit l’obéissance à des instructions précises. Ben oui : une bande de «jeunes» qui casse une vitrine ou cogne sur un policier, ça fait un peu collégien en goguette, caprice passager et gaminerie sans conséquences. Tandis que la même chose de la part de «jeunes adultes», je sais pas si vous sentez bien la nuance, mais c’est tout de suite plus grave. Pour un ministre de l’Intérieur résolu à taper du poing sur la table et à sortir du répressif à grands jets de Kärcher, c’est quand même plus sympa de s’attaquer à des «jeunes adultes» plutôt qu’à des jeunes tout court. Le seul pour qui ça ne fait pas vraiment de différence, en fait, c’est la victime : se faire démolir à coups de poings et de pieds par trois costauds qui vous piquent votre portefeuille, ça ne met pas vraiment en condition pour se poser des questions d’état-civil. Remarquez, il y a une autre hypothèse : peut-être que «jeune adulte», au fond, c'est rassurant. Etre agressé par des gamins de douze ou quinze ans, ça vous a un côté Orange mécanique qui fout un peu la trouille. Tandis qu'un «jeune adulte», lui, on peut toujours se dire qu'il a l'âge légal pour vous casser la gueule. Ça réconforte.

Et à propos de jeunes adultes, une devinette : que deviennent les anciens jeunes semi-illettrés que l’Education nationale balance désormais dans la nature à chaque lendemain de bac ? Réponse : c’est selon. Certains font des études longues et atterrissent dans des entreprises qui, de plus en plus, s’effarent de leur orthographe catastrophique et organisent désormais des stages de formation pour remédier aux carences de notre merveilleux système éducatif. Et les autres ? Eh ben, désormais, ils pourraient bien devenir enseignants. C’est en tout cas l’avis de M. Jacques Grosperrin, député UMP du Doubs et responsable d’une mission d’information sur le recrutement des enseignants. Il faut dire que le métier en est arrivé à un tel point que, ces derniers temps, il y avait pour ainsi dire moins de candidats que de postes à pourvoir. D’où le constat qu’il n’est peut-être plus aussi utile qu’avant d’organiser des concours de recrutement. On pourrait, dit M. Grosperrin, supprimer l'agreg et autres concours et «se contenter d’un entretien professionnel». D’autant – ça, c’est moi qui l’ajoute – qu’un entretien oral permettra de ne pas évaluer l’orthographe du recruté. C’est certainement plus prudent. Seront ainsi admis à enseigner des jeunes adultes semi-illettrés qui contribueront à répandre et à faire prospérer leur carences linguistiques. Après quelques années de ce régime, les dégâts seront devenus irréversibles et on pourra alors, sereinement, procéder à la grande réforme orthographique (lisez : simplification) rêvée par M. Meirieu et ses épigones. Et la boucle sera bouclée.

C’est comme ça que le niveau monte.

25/06/2011

Arrangements.

Emile Vernaudon, père fatigué.
Il s’appelle Emile Vernaudon. Il habite à Tahiti, en Polynésie française. Il en a été élu député par deux fois, une fois en 1988 et l’autre en 1997. Apparemment, il en a bien profité, puisque la cour d’appel de Papeete (Tahiti) vient de le condamner à cinq ans de prison, et 83 000 euros d’amende pour complicité de détournement de fonds publics. On lui reproche d’avoir piqué, à son profit ou à celui de son parti, près d’un million d’euros dans la caisse de l’Office local des Postes et Telecom, dont il avait la tutelle. Son avocat a indiqué qu’il n’ira pas en cassation, mais qu’il demandera une libération conditionnelle en arguant, je cite, «de l’état de santé de son client et de sa récente paternité». M. Vernaudon a 67 ans. D’aucuns penseraient qu’une «récente paternité» à 67 ans témoigne plutôt d’une belle santé et d’une vigueur enviable, mais non. Sans doute que cette paternité l’aura fatigué, M. Vernaudon : les biberons en pleine nuit, les couches, tout ça… M. Vernaudon doit être ce qu'on appelle un nouveau père.    

Continuons dans les petits arrangements politiques : à Paris, comme on sait, le logement coûte cher. Très cher même. D’où les très nombreuses demandes de logement social, à loyers modérés, et les listes d’attente longues comme des jours sans pain qui en découlent. Et bien entendu, la volonté farouche de ceux qui ont bénéficié d’un tel logement, de s’y cramponner jusqu’à la mort et même après si possible. On vient de découvrir que c’est le cas de bon nombre de gens, aux revenus fort confortables par ailleurs. Des hommes et des femmes politiques. Ou des amis d’hommes et de femmes politiques. M. Chevènement, par exemple, touche plus de 7 000 euros par mois pour sa seule fonction de sénateur et occupe dans le Vème arrondissement un appartement de 120 m2 qu’il loue 1 271 euros/mois. Mme Batho, députée PS proche de Mme Royal, a moins de chance : son 110 m2 est situé dans l’humble XIXème et lui coûte 1 524 euros/mois. Mme Amara dispose d’un 50 m2 dans le XIIIème qu’elle paie 525 euros/mois. Bon, là, je cite plutôt des gens de gauche, mais il paraît que c’est une situation assez partagée. On se souvient peut-être que, en d’autres temps, de telles histoires sont venues troubler la quiétude de M. Juppé - alors Premier ministre - ou de M. Gaymard, éphémère ministre de l’économie et des Finances. Apparemment, les gouvernements s’en vont, les bonnes habitudes restent.

Arrangements toujours : vendredi dernier, cinq hauts fonctionnaires dont deux anciens directeurs de cabinet ministériel et un recteur d’académie ont dû s’expliquer devant la Cour des comptes. Pour des histoires d’emplois fictifs. A l’Education nationale. En gros, il existe dans l’EN un poste appelé «Inspecteur de l’Académie de Paris» qui a la double particularité de ne servir absolument à rien et d’être rémunéré entre 4 500 et 6 000 euros par mois. Du coup, ce poste intéressant sert (je cite la Cour des comptes) «à permettre des nominations de collaborateurs d’autorités politiques» afin de (je cite toujours la Cour des comptes) «garantir aux personnes ainsi nommées une rémunération pérenne, quels que soient l’endroit et la manière dont elles exerceraient par la suite leurs activités». En clair : de 4 500 à 6 000 euros qui vous tombent chaque mois dans la poche sans aucune contrepartie, à vie, et quels que soient par ailleurs votre activité et votre revenu. Parmi les heureux bénéficiaires du système, sont cités des membres de la direction du PS, une proche de M. Chirac, un proche de M. Sarkozy ou un ancien membre du cabinet de M. Darcos. Les cinq hauts fonctionnaires en question risquent des amendes. Ils ont le sentiment, paraît-il, qu’on leur fait «porter le chapeau». Voilà ce qu’on peut appeler des fonctionnaires lucides.

Et pendant qu’elle paie des «Inspecteurs» à ne rien faire et à vie, l’Education nationale vit des épisodes baroques. A Castillon-la-Bataille (Gironde) les collégiens doivent démontrer que, conformément au programme, ils ont appris au cours de leur scolarité à «nager dix mètres sur le ventre et sur le dos et à passer sous un objet flottant». Et comme la piscine de Castillon-la-Bataille est fermée depuis deux ans et qu’il n’y en a pas à proximité, le professeur du collège concerné fera passer l’épreuve sur gazon. Dans un parc. Avec des lignes dessinées sur le sol pour matérialiser les couloirs. Pour attirer l’attention des pouvoirs publics. De ce point de vue là, il semble avoir réussi. L’histoire ne dit pas si les collégiens devront vraiment se mettre en maillot.

Pendant que, faute d’eau, des professeurs inventent la natation sur herbe, le ministre de l’EN doit se dépêtrer d’une histoire de fuite. Pas de fuite d’eau, mais de fuite au Bac. Une question de l’énoncé de Maths ayant été diffusée sur Internet la veille de l’examen il a fallu décider. Annuler toute l’épreuve et faire replancher 160 000 élèves ? Annuler la question ? Répartir les points de la question sur les autres questions ? De toute façon, n’importe quelle décision, dans un sens ou dans l’autre, ferait des mécontents. M. Chatel a décidé d’annuler la question. Il a fait des mécontents. Qui ont décidé de porter plainte devant le tribunal administratif. Et de faire une pétition. Laquelle a déjà, paraît-il, recueilli plus de 15 000 signatures. L’argument de ces protestataires est que «certains élèves ont passé deux heures sur cette question» et que cette décision les pénalise. Deux heures, soit 50% du temps imparti pour l’ensemble de l’épreuve. Alors que la question rapportait quatre points sur vingt, soit 20% du total. C'est nul, comme rendement. Et on voudrait que des élèves capables d’un tel calcul décrochent leur bac S !

Le niveau monte.

21/06/2011

Caméras.

Georges Tron, harceleur médiatique ?
Cet après-midi, vers 12h30, j’étais à Versailles. Je me promenais Avenue de Paris. Devant un porche en pierre marqué «Hôtel de Police» (avec les majuscules), j’avise un attroupement. Il y avait bien quarante personnes, debout à attendre. Avec des caméras et des micros. Sous la petite pluie fine et pénétrante. Certains avaient des parapluies ; d’autres pas. A voir leurs têtes à tous, ils étaient là depuis déjà un sacré bon moment. Toutes les caméras, tous les micros étaient braqués vers le porche, dans l’attente d’une personne qui, je suppose, finirait tôt ou tard par en sortir.


Comme je suis très badaud, je me suis approché d’un des types et je lui ai demandé la raison de l’attroupement. Il m’a regardé comme si j’arrivais de Saturne, et il m’a répondu : «C’est Georges Tron. Il est interrogé ici».

Miracle de l’info, je n’ai pas eu besoin d’en entendre plus pour comprendre. Tron, vous le savez sans doute tous comme moi, ce n’est déjà plus le film plein d’effet spéciaux et de jolies lumières dont les studios Disney nous ont gratifiés il y a quelques mois. Tron, aujourd’hui, c’est l’homme politique accusé d’avoir caressé contre leur gré les pieds de certaines employées de sa mairie. L’affaire, révélée dans la foulée de celle concernant DSK, monte tranquillement en puissance. A preuve, les quarante et quelques caméras ou micros à pattes qui campaient cette après-midi-là à Versailles.

Quarante et quelques. Le pauvre Tron n’en a probablement jamais eu autant lorsqu’il sortait de Matignon, en tant que secrétaire d’Etat chargé de la Fonction publique. Ni encore moins sur le perron de sa petite mairie de Draveil. A quoi tient la gloire médiatique, quand même…

Je me suis approché d’un type qui marinait derrière une caméra, sous un parapluie détrempé. Comme il y avait marqué «France 2» sur le parapluie et que la caméra portait un autocollant «France 2», j’ai supposé qu’il travaillait pour France 2. Et j’ai entamé la conversation, d’un ton gentil :
-        Ça fait longtemps que vous êtes là ?
-        Ouais… Ça fait plus d’une heure.
-        Et vous allez rester longtemps ?
-        Ben, on sait pas. On attend qu’il sorte…
-        Georges Tron ?
-        Ben oui.
-        Et ce sera long ?
-        Aucune idée…
Ça fait déjà pas mal, comme échange, mais vu qu’il ne se passait absolument rien, le type avait l’air plutôt content de pouvoir causer un peu. J'imagine que ça devait rompre la monotonie de l’attente. Donc, j’ai continué :
-        Et tous les autres, là, France 3, TF1, M6, Direct Truc… Ils attendent aussi Georges Tron, donc ?
-        Ben oui.
-        Et ils sont arrivés en même temps que vous ?
-        Non. Y’en a qui étaient là avant.
-        Ah… (un silence) Et donc, vous êtes tous là depuis plus d’une heure et pour encore un certain temps, pour prendre des images de Georges Tron sortant de l’Hôtel de Police ?
-        Oui, et peut-être aussi un commentaire. Mais ça m’étonnerait.
-        Mais du coup, vous aurez tous les mêmes images ?
-        Ben oui, bien sûr.
-        Et s’il fait un commentaire, ce qui est assez peu probable d’ailleurs, vous aurez tous le même commentaire ?
-        Ben oui, c’est forcé.
-        Donc vous êtes là à plus de quarante depuis ce matin, sous la flotte, pour ramener tous les mêmes images à vos chaînes, qui passeront toutes les mêmes images au journal de ce soir ?
-        Ben ouais…
Arrivé là, le type a eu comme un petit regard triste. On aurait dit un gros chien mouillé qui vient de se faire marcher sur la queue et qui ne comprend pas très bien comment ni pourquoi, mais qui ressent tout de même un vague malaise. Je crois qu’il a pigé tout seul que la question qui venait après, en bonne logique, et que je ne lui poserais pas, c’était : «Et vous ne trouvez pas que vous faites un métier de con ?».

Parce que, oui, au fond : à quoi ça rime, cette débauche soudaine d’images ? Image de Georges Tron sortant d’un interrogatoire, de Georges Tron traversant un trottoir, de Georges Tron montant dans un fourgon… Qu’est-ce que ça nous apprend ? Et à quoi ça rime, ce panurgisme ? Pourquoi toutes les chaînes jugent-elles indispensable de faire réaliser, puis de diffuser ces images que rien ne distinguera de celles de la chaîne concurrente ? Et pourtant, tous les journalistes, tous les rédacteurs-en-chef, tous les responsables d’infos seront d’accord : oui, ce jour-là, à cette heure-là, à cet endroit-là, il fallait avoir une caméra, un micro et un journaliste.

Le niveau monte.

19/06/2011

Précautions.


Laurent Ruquier, responsable précautionneux.
Au menu d’aujourd’hui, quelques applications intéressantes du principe de précaution.

Efficacité d’abord. A Roissy, les douaniers ont saisi 162 kg de thé radioactif en provenance du Japon. Les sympathiques petites feuilles présentaient – si j’ai bien compris – une teneur en césium deux fois supérieure à ce qu’autorise l’UE. Le thé en question provient de la préfecture de Shikuoza. J’ai regardé sur une carte : Shikuoza, ça se trouve à 4 ou 500 km au sud-ouest de Fukushima. D’où question : le thé de Shikuoza est-il radioactif à cause de l’accident de Fukushima (auquel cas la radioactivité fait des bonds impressionnants) ou bien l’est-il depuis belle lurette et vient-on seulement de s’en apercevoir à la faveur des contrôles mis en place suite à la catastrophe de Fukushima ? M’est avis que je n’aurai pas la réponse avant un bon moment.

Nucléaire et principe de précaution, toujours : invité à une émission de télé pour y débattre du nucléaire avec un opposant à ce type d’énergie, M. Eric Besson, notre actuel ministre de l’industrie, est parti au bout de dix minutes. Apparemment, il a préféré s’en aller avant de devoir affronter des questions agaçantes. C’est ce qu’on appelle une sage application du principe de précaution : s’en aller pour ne pas être exposé aux questions qu’on risquerait de vouloir vous poser. Gageons que la démarche va faire école.

Autre application du même principe : M. Ruquier a décidé de ne pas reconduire le célèbre tandem Zemmour-Naulleau dans son émission télévisée hebdomadaire. On connaît en effet la tendance de M. Zemmour aux petits débordements. Donc, désormais, si débordements il y a, ce ne sera plus dans l’émission de M. Ruquier et voilà, voilà, voilà, on veut bien faire de l’audience mais il y a des limites à tout, quand même et  après ça, vous ne pourrez pas dire qu’on plaisante avec l’éthique. Et au lieu de virer seulement Zemmour, M. Ruquier a décidé de virer aussi Naulleau. Peut-être qu’ils étaient vendus en lot et que c’est les deux ou rien. Ou, peut-être que M. Ruquier a craint une éventuelle contamination du second par le premier. En tout cas, il a viré Zemmour ET Naulleau. On voit que, pour M. Ruquier, deux précautions valent mieux qu’une.

Précaution politique, maintenant : l’UMP, par la plume du député Edouard Courtial, a officiellement demandé à la CNIL d’interdire la primaire envisagée par le PS. L’argument invoqué, c’est que le PS risquerait de se constituer un fichier des agents territoriaux qui ne sont pas de sensibilité PS. Pour les en punir ensuite en nuisant à leur carrière. Ceux qui ne participeraient pas à la primaire étant catalogués ipso facto comme opposants au PS. C’est l’UMP qui le dit. Voilà une crainte qui en dit long sur la conception UMP des choses : si tu ne votes pas pour ma primaire, c’est que tu es contre moi. Et puisque tu es contre moi, je vais nuire à ta carrière. En somme, l’UMP demande à la CNIL d’interdire la primaire PS pour empêcher le PS de faire ce que l’UMP ferait si elle était à la place du PS. Bon, moi, je ne sais pas ce que donnera la primaire PS mais, déjà, je crois que je ne voterai pas UMP. Par précaution.

Passons à la précaution religieuse : lassés d’être toujours enquiquinés par des histoires de pédophilie, les evêques catholiques se sont résolus à prendre le taureau par les cornes. L’église catholique va donc mettre en place un centre d’e-learning qui fournira aux religieux, prêtres et religieuses du monde entier les informations et les «bonnes pratiques» sur le sujet. Pour les aider à reconnaître un cas de pédophilie. Si jamais il leur arrivait d’en croiser un. On n’est jamais trop prudent.

Et pour finir, cette info qui nous arrive tout droit d’un rapport réalisé à la demande de la Commission européenne : la France est championne d’Europe pour le marché du cours à domicile et du soutien scolaire. Très loin devant l’Allemagne, la Grèce, l’Espagne ou l’Italie. Pour donner une idée : le marché espagnol, qui serait le troisième, représenterait à peine 20% du marché français pour une population équivalant à 80% de la nôtre. Révélation d’autant plus inattendue que, tous les pédagogues vous le confirmeront, notre système scolaire est un des plus efficaces du monde et que ses performances font l’admiration envieuse de tous nos voisins. Comment expliquer alors cette rage de soutien scolaire et de cours particuliers ? Il faut vraiment que les parents d’élèves français aient le principe de précaution chevillé au corps.

Enfin, l’important, c’est que le niveau monte.

17/06/2011

Politique


Bernard-Henri Lévy, souteneur politique.
 Aujourd’hui, un certain nombre de petits événements politiques.

Commençons par le plus important : Bernard-Henri Lévy, notre entarté national, a fait savoir qu’il soutient désormais Martine Aubry. J’écris «désormais» car il avait d’abord affirmé son soutien à Mme Royal, avant de le transférer à M. Strauss-Kahn. Nul doute que ce soutien de poids, apporté par l’une de nos figures intellectuelles les plus conséquentes, réjouira Mme Aubry. Et attendons avec impatience de connaître vers qui se porteront les soutiens d’autres figures d’importance intellectuelle équivalente : Guy Bedos, Steevy Boulay et Casimir.

Sinon, Mme Lauvergeon, patronne d’Areva, vient d’être débarquée au profit de son n° 2. Sur ordre de l’Elysée. Cette décision est l’avant-dernier mouvement d’une petite combinaison visant à démanteler Areva pour mettre la filière nucléaire française dans les mains d’EDF. Et surtout de Bouygues, qui prévoit de développer une offre de centrales nucléaires «clé en main» en absorbant la filiale d’Areva appelée «NP».  Cette affaire-là dure depuis près de trois ans. Et sera très, très juteuse pour Bouygues. Et n’avançait pas, à cause du refus obstiné de Mme Lauvergeon à voir démanteler son entreprise. Mais bien entendu, le fait que M. Martin Bouygues est l’un des plus chers amis de M. Sarkozy n’a rien à voir dans l’histoire.

Et puisqu’on parle de M. Sarkozy, je m’en voudrais d’oublier cette anecdote : il paraît que désormais «l’antisarkozysme est une forme d’antisémitisme qui ne s’assume pas». On admirera le sens de la nuance, l’inattendu de la formule et l’ingéniosité du rapprochement. Notez, celui qui affirme ça doit s’y connaître, puisqu’il s’agit de M. Patrick Buisson, ancien directeur de Minute, zélateur de l’OAS, admirateur de Jean-Marie Le Pen à qui il a consacré un livre de photos, proche conseiller de M. Sarkozy et, à ce titre, inspirateur de la création d’un ministère de l’Identité nationale. A ses moments perdus, M. Buisson dirige également la confidentielle chaîne de télévision Histoire, laquelle chaîne a recu près de 300 000 euros de subvention du ministère de la Culture et appartient à 100% au groupe TF1, qui lui-même appartient à… Martin Bouygues. Vous voyez comme tout ça tient bien ?

Continuons avec la politique. Chez Europe Ecologie-Les Verts (EELV pour les intimes), ça débat à fond la caisse entre prétendants à l’investiture. Et la fièvre monte. Lors du dernier débat, Mme Joly a dit que M. Hulot parle plus qu’il n’agit. M. Hulot a rétorqué qu’il ne faut pas confondre «combat avec coups bas». Les partisans d’un troisième postulant, M. Lhomme, ont publié un communiqué pour dénoncer «la violence inouïe» de cet échange. Sans rire : la violence inouïe. Je suggère à M. Lhomme et à ses copains d’aller jeter un œil sur ce qui se disait ou s’écrivait en fait de dialogue politique sous la IIIème république, chez les Léon Daudet, Octave Mirbeau, Léon Bloy et autres Julien Benda. Ils verront qu’en fait de violence verbale, M. Hulot et Mme Joly ont encore un petit poil de marge. Mais bon, ça amuse la galerie. Quant au fond, ces braves gens débattent gravement de mariage homosexuel et de dépénalisation du cannabis, sujets sur lesquels ils sont tous d’accord et dont les Français, dans leur vie quotidienne, se soucient comme d’une guigne. Bref, ils font comme ils faisaient avant que M. Cohn-Bendit vienne les organiser.

Pendant que les défenseurs de l’écologie s’amusent entre eux, et sans que cela les fasse réagir outre mesure, le Conseil National de l’Alimentation (CNA) donne son feu vert à la réintroduction de farines animales dans l’alimentation des bestiaux d’élevage. Ce CNA est composé de 57 membres représentant aussi bien les associations de consommateurs que les producteurs, les éleveurs, les distributeurs, les restaurateurs… Rappelons que l’alimentation à base de farines animales a été dénoncée, voilà dix ans, comme la cause de la crise de la vache folle. Il paraît, d’après le CNA, que «les conditions sanitaires ayant conduit à l’interdiction (des farines animales) dans l’alimentation des animaux destinés à la consommation humaine ne sont plus d’actualité». Ne sont plus d’actualité. Voilà, voilà, voilà… Moi, il me semblait bien que deux ou trois histoires de concombres, de graines germées ou de steak hachés tueurs avaient récemment attiré l’attention du public sur les questions de sécurité alimentaire, mais bon… Si les gens qui savent disent que «ce n’est plus d’actualité», il n’y a aucune raison de ne pas les croire.

Pour rester dans l’écologie efficace, signalons aussi que le gouvernement français vient d’autoriser la mise sur le marché du Cruiser OSR. Vous ne connaissez pas ? Le Cruiser OSR est un pesticide qui sera désormais employé dans la culture du colza. Il semble avéré qu’il est d’une très grande efficacité, puisqu’on le retrouve encore, trois ans après épandage, dans la sève et les fleurs des plantes traitées, ce qui lui permet de détruire les abeilles par paquets de mille. Les apiculteurs, dont la pétition anti-Cruiser avait récolté plus de 200 000 signatures, ne sont pas très contents. Pendant ce temps, Mme Joly et M. Hulot procèdent à des échanges «d’une violence inouïe».

Et pour finir sur une note rigolote, une équipe de chercheurs américains annoncent qu’ils pourraient être en mesure de prédire le succès d’une chanson. En étudiant les réactions neurologiques des adolescents.  Par résonance magnétique. Ces chercheurs américains, figurez-vous, ont fait écouter une trentaine de chansons à vingt-sept gamins de 12 à 17 ans, et constaté que les réactions neurologiques de ces ados n’étaient pas les mêmes lorsqu’ils ont entendu la chanson devenue par la suite tube mondial. D’où la possibilité, désormais, de prédire la popularité d’une chanson en la soumettant à un panel d’ados dont on étudiera les réactions neurologiques.

La science progresse : on est désormais scientifiquement assurés que, malgré les apparences, les ados ont bien des réactions neurologiques.

Le niveau monte.

15/06/2011

Cellules


Jean-Pierre C., ouvreur de cellules.
Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, je vais mettre un peu de couleur dans mon texte. J’ai reçu par Internet une proposition pour assister à une conférence. Il paraît qu’il reste des places. Ça ne m’a pas trop surpris et, lorsque vous aurez vu de quoi il retourne, vous ne le serez sans doute pas non plus. Bref, la proposition était accompagnée d’un texte de présentation. Je vous livre ce texte intégral ci-dessous, entrelardé de commentaires. Et pour que vous fassiez bien la différence entre le texte et les commentaires, le texte apparaîtra en bleu. D’où la couleur. Avouez que je me donne du mal pour vous.

Simplement, comme je ne veux pas faire de publicité pour le «thérapeute» concerné, je mets juste son prénom et ses initiales.

C’est parti !

«La Thérapie Cellulaire Holographique créée  par Jean-Pierre C. est une synthèse entre ses propres recherches, l'Ostéopathie Méthode Poyet, et l'Ostéopathie Bioénergétique Cellulaire Méthode Montserrat Gascón.
Déjà, ça commence mal vu que je ne connais ni ces braves gens, ni leurs techniques. D’ailleurs, je me demande bien par quel cheminement ce mail est arrivé jusqu’à moi. Je dois avoir un copain farceur. Mais en tout cas, avouez que «Thérapie Cellulaire Holographique» ou «Ostéopathie Bioénergétique Cellulaire», ça fait drôlement classe et scientifique. Surtout avec les majuscules.

Jean-Pierre C. se différencie des écoles d'ostéopathie, par son approche microscopique c'est-à-dire cellulaire, de l'être humain. Cette approche permet de mieux comprendre : "Qui soigne qui? Qu'est ce que la maladie? La santé? Comment rétablir la santé? Comment ouvrir nos cellules pour libérer l’âme, la Vie, l'Amour et la Joie, et ainsi goûter au bien-être, et à l'autonomie? Avec quels outils?"
N’en voilà des bonnes questions. Déjà, savoir que le type qui prétend me soigner commence par se demander «Qui soigne qui ?», je ne suis pas certain que ça me mettrait tout à fait en confiance. Mais bon… Ce que je préfère là-dedans, c’est le programme qui consiste à «ouvrir les cellules pour libérer l’âme, la Vie, l’Amour, la Joie». il y a une espèce de jeu de mots entre les «cellules» du corps humain et les «cellules» d’une prison dans lesquelles « l’âme, la Vie, l’Amour, la Joie» seraient prisonniers et attendraient d’être «libérés». Bien entendu, l’idée «d’ouvrir les cellules» du corps n’a absolument aucun sens, mais bon, on n’en est déjà plus à ça près. Notez aussi, au passage, l’apparition soudaine et spectaculaire des grands-mots-qui-font-vibrer (amour, vie, joie) et, là encore, de leurs jolies majuscules.

Savoir qu'une âme (immortelle, omnisciente, omnipotente) aide une âme permet d'accéder aux outils de l'âme, et d'avoir des possibles tout autres : d'accès à l'information (mémoires cellulaires), et d'action thérapeutique (efficacité du verbe créateur, de l'amour et de la gratitude). Quand "l'âme agit", elle créé "la magie".
Là, ça y est, on est passé du jargon pseudo-scientifique au jargon religieux, sans que le second ait d’ailleurs plus de sens que le premier. Le virage habilement négocié à la fin du paragraphe précédent nous amène tout naturellement à parler de l’âme. Soigner, c’est causer d’âme à âme. D'ailleurs, tous ceux qui sont passés aux service Urgences d'un hôpital le savent bien. Au passage, on apprend que cette âme est «omnipotente» et que l’action thérapeutique de Jean-Pierre C. se fait par «l’efficacité du verbe créateur». En clair : je vous soigne avec du blabla. Ce M. C. a dû s’intéresser à la psychanalyse. Et à en juger par son jeu de mot terminal («l’âme agit / la magie»), je dirais même qu’il a dû se promener chez les lacaniens. Sinon, on apprend aussi que l’âme a des outils, comme le premier plombier venu (enfin, «plombier venu», c’est une façon de parler : on sait bien qu’il ne vient jamais) et que l’emploi de ces outils nous fournit «des possibles tout autres». Tout autres que quoi, c’est au lecteur de l’imaginer… N'empêche, ça valait la peine de venir !

Jean-Pierre C. reconnait également, sur le plan macroscopique, le rôle premier des impacts émotionnels sur le "cœur-péricarde". Le péricarde est une enveloppe qui contient et protège le cœur et les racines des gros vaisseaux sanguins. La moindre réaction du péricarde aux émotions affecte directement tout notre organisme. C’est une clé majeur pour comprendre l’installation de la maladie psychosomatique, cause de la quasi totalité des pathologies, et donc leur solution. Harmoniser le péricarde permet également de reconnecter corps âme et Esprit, et d’ouvrir tous les chakras.
Paragraphe où l’on apprend que M. C. «reconnaît» (c’est bien gentil à lui) une découverte scientifique majeure : ce qui se passe au niveau du cœur affecte l’ensemble de l’organisme. C’est nouveau, ça vient de sortir et Hippocrate ne s’en était jamais douté. Mais ce n’est pas tout. De cette découverte, il fait une «clé majeur(e)» et comme une clé, ça sert à ouvrir, eh ben, il ouvre. Les chakras. Tous les chakras. Ça permet d’introduire dans le texte la pincée de spiritualité indienne qui lui faisait si cruellement défaut. Et puis, «ouvrir les chakras», dans ce genre de littérature, c’est pour ainsi dire une figure imposée. Surtout si on dispose d’une clé. Surtout une clé majeure. Clé qui, d’ailleurs, sert aussi à reconnecter. Là, reconnaissons-le, la métaphore est moins maîtrisée. Mais bon, on ne peut pas à la fois faire dans l'ostéopathie holographique et s'y connaître en bricolage.

Avec sa compréhension de la structure holographique du corps humain, Jean-Pierre C. donne à la THÉRAPIE CELLULAIRE HOLOGRAPHIQUE deux atouts majeurs :
- Chaque point du corps étant l'expression du corps tout entier (et non pas de ce point), pour qu'un point du corps soit parfait, il est nécessaire de soigner le corps tout entier. D'où la nécessité d'harmoniser toutes les lésions (osseuses, organiques, péricardiques) et toutes les cellules en une séance. Aujourd’hui, il devient possible d’aller dans cette direction, grâce aux outils de l’âme.
- Les tests des épaules et des hanches permettront de vérifier l'efficacité de chaque action thérapeutique en cours de protocole, et si tout a bien été harmonisé en fin de séance.
Là, on entre dans le dur : M. C. nous dévoile ses principes thérapeutiques. Et ça vaut le déplacement. En deux mots, il utilise les «outils de l’âme» pour «harmoniser toutes les lésions» et «toutes les cellules» afin de «soigner le corps tout entier». Ce qui permet à chaque point du corps d’être «parfait». Rien que ça. Et en une seule séance. Payante. Ça, il ne le dit pas, mais ça va de soi. D'autant qu'il réside et exerce en Suisse. Vous me direz : si il vous soigne en une seule séance, fût-elle payée cher et en francs suisses, il ne va pas aller très loin, M. C., question chiffre d’affaires. Sauf qu’il ne promet pas de vous guérir, mais seulement «d’aller dans cette direction». Pas folle, la guêpe ! Et il a même des tests, les célèbres «tests des épaules et des hanches» pour vérifier que, en fin de séance, vous êtes bien ouvert, harmonisé et reconnecté tout partout bien comme il faut. Ce qui permet, au cas où pas, de vous proposer une deuxième séance.

Cet outil thérapeutique du 3ème millénaire est également une clé pour effectuer le passage d’un fonctionnement orthosympathique (dont nous sommes prisonniers) à un fonctionnement parasympathique, c’est-à-dire le passage : de la survie à la Vie, de la guerre à l’Amour, de la peur à la Joie. L’enjeu est de retrouver notre véritable identité, et notre souveraineté pour créer une réalité toute autre.» 
Fin du baratin. On conclut sur le «3ème millénaire» (ça fait moderne, et même futuriste) et on promet la belle vie en utilisant, encore une fois, les grands-mots-qui-font-vibrer, toujours assortis de leurs majuscules. Notez aussi l’idée de «prisonniers» qui fait bien écho aux «cellules» de tout à l’heure ; et l’emploi de mots rares et complexes (orthosympathique, parasympathique) employés en dehors de leur véritable signification. Enfin, admirez la promesse de «retrouver notre véritable identité» (là, c’est «véritable» qui fait le gros du travail), formule qui renvoie tout autant aux traditions mystiques de tout poil qu’à l’idée que nous avons tous en nous un Superman qui ne demande qu’à se révéler sous notre banale apparence de Clark Kent. Afin, pourquoi pas, de «créer une réalité toute autre». Fermez le ban !

Il y aurait encore plein de choses à dire sur ce morceau de littérature. En fait, chaque mot ou chaque expression mériterait un commentaire. Mais bon, vous savez ce que c’est, on a un peu l’impression de se mettre à ranger les tôles dans dix à douze hectares de casse automobile : au début, on est plein d’enthousiasme et puis, au bout d’un moment, on fatigue. D’autant que, des comme ce M. C., en ce moment, ça prolifère. Tiens, pas plus tard que la semaine dernière, j’ai reçu un mail me proposant de m’associer à une gigantesque prière collective. Partout sur la planète, le même jour à la même heure (et sans tenir compte du décalage horaire, évidemment, on ne saurait penser à tout), nous étions tous invités à adresser une pensée destinée à l’eau de Fukushima. Oui, oui : à l'eau. Pour lui demander pardon. Et l’assurer de notre amour. Je vous jure que c’est vrai.

Le niveau monte.

13/06/2011

Cultures


Laura et Julien, enseignants à distance.
C’est le plus grand succès jamais rencontré par un bien culturel, toutes catégories confondues, dans l’histoire de l’Humanité. 650 millions de dollars de recettes en 5 jours ; 1 milliard de dollars de recettes et vingt millions d’exemplaires vendus depuis son lancement, en novembre 2010. Ça s’appelle Call of Duty – Black Ops. C’est un jeu vidéo. Toujours le même genre de jeu vidéo : il s’agit de se prendre pour un agent secret tueur, d’avoir une panoplie d’armes toutes plus meurtrières les unes que les autres, depuis l’arbalète jusqu’au lance-flammes, et d’abattre le maximum d’ennemis en un minimum de temps. On peut gagner des points en exécutant des «contrats», à condition que la victime reçoive bien la balle en plein crâne, et pour se récompenser on peut créer son propre emblème et le graver sur son arme favorite. Bref, on s’y croirait. Un succès, donc, phénoménal. Dix millions d’exemplaires vendus le seul jour de la sortie.  Un réalisme à, paraît-il, couper le souffle. A côté de ça, on met en place des cellules d’assistance psychologique dès qu’un poulet se fait écraser dans la grande rue d’un village et la Presse allemande reproche à la Bundeswehr d’avoir laissé toucher un fusil à des enfants de douze ans.

Continuons dans le culturel. Ils sont deux. Ils se prénomment Julien et Laura. Ils sont jeunes, beaux, doux, raisonnablement caucasiens, passionnés par la vie, et ils viennent de trouver l’activité de leurs rêves. Ils sont devenus profs. Une activité magnifique, qui s’exerce, si l’on en croit les photos validées par l'Education nationale, dans le calme d’une bibliothèque, à l’aide d’un livre ou d’un ordinateur. Et en solitaire. Loin, bien loin de cette nuisance dont on entend parfois parler et que la mise en scène publicitaire a très soigneusement occultée : les élèves.

A propos de publicité, de joli mannequin et de culture, je m’en voudrais d’oublier ce chef-d’œuvre de communication pondu par une agence bretonne. Le problème est simple : comment redorer l’image des éleveurs de porc bretons, dont l’activité est polluante au point d’avoir rendu imbuvable la quasi-totalité des eaux de la Bretagne ? Réponse : au lieu de nier le problème, on va le justifier. Traitement : on montre un adorable porcelet et on passe aux aveux : «il grogne, il pète, mais grâce à lui vous mangez sain, sûr, bon et breton !». Au premier plan, un élève de seconde année à Sciences-Po, avec petites lunettes et coiffures soigneusement destructurée. En fait, la légende nous dit qu’il s’agit de «David, éleveur de porcs en Bretagne». Et donc, il faut bien comprendre la métaphore : le porcelet qui «grogne et pète», c’est en réalité l’éleveur qui pollue. Le vrai message, c’est : «Oui, bien sûr, j’étale chaque année des centaines de millions de tonnes de merde qui rendent l’eau imbuvable à coups d’azote et de nitrate, font crever les poissons de rivière et développent les algues vertes, mais regardez comme nous sommes mignons, sains et sûrs, mon cochon et moi ! Et en plus, on est bretons.» C’est imparable.

Et pour en finir, avec les opérations de com’, je suis heureux d’annoncer à ceux qui l’ignoreraient la naissance du label PUR. Et non, ce n’est pas un label destiné à indiquer si une eau bretonne a été ou non traitée pour la débarrasser de ses nitrates superflus. PUR signifie «Promotion des Usages Responsables». Vous ne voyez toujours pas de quoi il retourne ? Vous croyez, parce qu'on emploie des mots comme «pur» ou «responsable», qu'on va encore vous causer d'écologie ? Eh ben non. PUR, c’est un truc inventé par le gouvernement pour promouvoir la loi HADOPI et défendre les droits d’auteurs de ces damnés de la Terre que sont Johnny Hallyday, Michel Polnareff ou Enrico Macias. En clair, un logo qui devrait servir à signaler les sites de téléchargement conformes à la loi. Comme qui dirait, un logo pour les légaux. L’idée est, paraît-il, d’aider les internautes à s’y retrouver. Sauf que les sites légaux qui ne l’auront pas demandé n’auront pas le logo, mais ne seront pas pour autant illégaux ; tandis que les illégaux n’auront de toute façon pas le logo. Il y aura donc des légaux à logo, des illégaux sans logo et des sans-logo légaux. De plus, histoire de tout simplifier, la SACEM vient d’intervenir auprès de l’HADOPI en dénonçant de nombreux sites qui refusent de lui payer certaines taxes. Et qui donc, selon elle, sont illégaux et n’ont donc pas droit au logo. Ce qui rajoute aux sans-logo une nouvelle catégorie : les illégaux qui se croyaient légaux. Et débrouillez-vous avec ça.

Toujours est-il que, pour promouvoir son logo, l’HADOPI a fait réaliser une grosse campagne publicitaire. Pour la modique somme de trois millions d’euros, somme évidemment prélevée sur nos impôts. La campagne - télé, radio, affichage et presse - consiste à présenter des gamins qui auraient pu devenir des phares de la culture française (auteur façon Marc Lévy, slammeur ou chanteuse de télé-réalité) si leur avenir n’avait pas été écrasé dans l’œuf par des salauds de téléchargeurs illégaux. Je vous jure que je n’invente rien : vous y aurez droit à partir d’aujourd’hui.

Sinon, la TV libyenne a présenté un reportage où l’on voit M. Kadhafi jouant aux échecs avec le président de la Fédération Internationale des Echecs, M. Ilioumjinov. Ce monsieur Ilioumjinov envisage d’organiser en octobre 2011 un grand tournoi international d’échecs à Tripoli. Il a d’ailleurs plein d’autres idées intéressantes pour promouvoir le jeu d’échecs. Comme d’apprendre à jouer à Diego Maradona. Lorsqu’il ne préside pas la FIDE, M. Ilioumjinov raconte comment il a rencontré des extra-terrestres. En scaphandres jaunes. Là non plus, je n'invente rien. Il a discuté avec eux par télépathie et ils l’ont emmené faire un tour dans leur vaisseau.

Le niveau monte.

10/06/2011

Armes de conception massive.


Muammar Kadhafi, acheteur de Viagra
Au menu d’aujourd’hui, un certain nombre de scandales d’importance et de nature variées, mais tous assez éclairants sur l’état de l’opinion publique de ce début de XXIème siècle.

En Italie, l’opinion publique est révulsée par la libération brésilienne de Cesare Battisti. Rappelons que M. Battisti est cet intellectuel italien, ancien militant d’extrême-gauche, reconnu coupable par les tribunaux de son pays d’implication dans quatre meurtres terroristes commis en Italie à la fin des années 70 et condamné de ce fait à la réclusion à perpétuité. Réfugié en France, très apprécié de la gauche-tarama française qui le considère soit comme un innocent persécuté, soit comme une espèce de Jesse James transalpin, M. Battisti s’est ensuite transporté au Brésil, sous l’aile protectrice d’un président Lula dont les sympathies pour la gauche radicale ne sont plus à démontrer. Bon calcul, puisque le Brésil vient de refuser l’extradition de M. Battisti et de le remettre en liberté. A la grande fureur des Italiens et de leur gouvernement. Fureur néanmoins tempérée par diverses considérations humanistes, comme en témoignent ces propos d’un diplomate italien : «Nous avons beaucoup d’intérêts économiques avec le Brésil, qui est en plein développement. D’importants contrats ont encore été signés l’an dernier. On ne peut pas tout envoyer en l’air pour Cesare Battisti.»

En France, l’affaire Luc Ferry a durant un moment agité les médias. Mais ne vous y trompez pas : il ne s’agit plus de l’affaire Luc-Ferry-qui-a-dénoncé-sans-le-dénoncer-tout-en-le-dénonçant-un-ministre-pédophile. Il s’agit désormais de savoir si M. Ferry a bien effectué les heures d’enseignement pour lesquelles il a été payé et, dans la négative, s’il était fondé à le faire. Ou à ne pas les faire. Enfin, vous me comprenez. Il paraît que M. Ferry, sur cette importante question, a été auditionné par le ministre de l’Education lui-même. Après quoi on n’a plus entendu parler de rien. Même pas de ministre pédophile. Surtout pas de ministre pédophile.

En France encore, Mme Lagarde est accusée d’avoir été au courant de liens d’affaires ou d’amitié entre l’avocat de M. Tapie et l’une des personnes chargées de juger M. Tapie. Rappelons que le jugement en question a permis à M. Tapie, par l’intermédiaire de son avocat, de se faire payer par l’Etat français la bagatelle de 285 millions d’euros. C’est-à-dire que chaque foyer français qui paie des impôts a donné, cette année-là, 11 euros à M. Tapie.  C’est beaucoup. De quoi financer, par exemple, les quarante années de carrière de plus de deux cents instituteurs. Et donc, il y aurait eu un certain copinage entre l’un des juges-arbitres et l’avocat de l’arbitré-jugé. Et Mme Lagarde l’aurait su. Et elle n’aurait pas trouvé utile de faire appel du jugement. C’est le site Médiapart qui publie cette information. Le ministère des Finances défend Mme Lagarde d’une façon inattendue. «Il n’y a là rien de nouveau, lit-on dans le communiqué publié par Bercy. Tout était déjà dans le rapport de la Cour des Comptes». Autrement dit, on savait déjà qu’elle savait et donc, circulez, y’a rien à (sa)voir. La presse est donc passée à autre chose.

En France toujours, on se demande si M. Emmanuelli, lors d’une séance à la Chambre des députés, a eu ou non un geste déplacé à l’encontre du Premier ministre. Pour tout dire, un doigt d’honneur. Les images semblent montrer que oui ; M. Emmanuelli jure que non. La question est en débat. Le bureau de l’Assemblée en discutera dans les prochains jours. Le PS attend en retenant son souffle. Tout comme l’UMP qui, de son côté, attend de savoir si l’élection de Mme Chirac aux dernières Cantonales va être annulée. Car Mme Chirac a été élue avec une seule voix d’avance et justement, voyez comment sont les choses, on a trouvé une enveloppe de trop dans l’un des bureaux de vote du canton en question. Là encore, le tribunal rendra ses conclusions dans les prochains jours. La vie politique n’est qu’un long suspense.

En Allemagne, c’est l’armée qui est prise dans un scandale majeur. Lors d’une opération «Portes ouvertes» dans une caserne de Bavière, les militaires ont montré un char aux enfants et les ont laissé manipuler des armes. Déchargées. Ils leur ont même fait simuler des tirs sur des ennemis. L’Allemagne toute entière est scandalisée par cette horreur. Il faut dire que les petits garçons allemands ne jouent à aucun jeu vidéo, ne regardent pas la télévision, ne vont pas au cinéma et ne connaissent pas les jouets dénommés «Action Man» ou «G.I. Joe». Ils ne pouvaient donc absolument pas imaginer qu’ils verraient des fusils et des chars en entrant dans une caserne, ni encore moins espérer en voir. «C’est une catastrophe pour l’image de la Bundeswehr» a déclaré un député allemand, tandis qu’une enquête militaire a été ouverte. M’est avis qu’il n’y aura plus de «Portes ouvertes» dans une caserne allemande avant un bon bout de temps. Et que la prochaine fois, ce sera thé dansant et projection de «Bambi». Et encore, je suis pas sûr : dans «Bambi», il y a un chasseur.

Sinon, le procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI), M. Luis Moreno-Ocampo, vient de révéler une nouvelle horreur : Kadhafi nourrirait ses troupes au Viagra pour leur permettre de violer les opposantes à son régime. Y compris les enfants. L’affaire a été révélée en avril dernier à l ‘ONU par Mme Susan Rice, représentante des Etats-Unis au sein de l’auguste assemblée. D’après M. Moreno-Ocampo, cela fera un nouveau chef d’inculpation à l’encontre de M. Kadhafi. Et donc, si je comprends bien, une raison supplémentaire de le pendre. Ça peut toujours servir. Le Conseil de sécurité des Nations-Unies et M. Moreno-Ocampo lui-même parlent sans rire de «conteneurs entiers de Viagra» acquis «récemment» par la Libye et que la CPI aurait découverts. En somme, des armes de conception massive. Au passage, ce recours au Viagra laisse à penser que les soldats libyens sont soit âgés, soit fatigués, soit extrêmement sollicités. Ou que Kadhafi n'a pas trop confiance dans la virilité de l'armée libyenne. L’affaire paraît un peu difficile à croire, surtout après que nombre d’affirmations américaines du même tonneau (bébés jetés hors des couveuses koweîtiennes par les soldats irakiens, armes nucléaires détenues par Saddam Hussein…) se sont révélées être des bobards. Mais justement, explique Mme Rice, les USA ne voulaient pas que l’affaire soit connue car c’est tellement énorme que le public pourrait croire à de la désinformation. C’est là qu’on voit à quel point le maniement de la propagande devient un travail complexe : entre vérité et mensonge, on en est désormais au triple-salto.

Quand je vous dis que le niveau monte.

09/06/2011

Contrefaçons

Philosophie post-moderne : une frisée mâche sa laitue.
On savait déjà que la Chine fabrique pas mal de contrefaçons : produits de luxe, médicaments, DVD… Les industriels cherchent même à nous faire croire que c’est un fléau mondial. Et même qu'hier, c'était la Journée Mondiale de Lutte contre. Voilà maintenant qu’elle – la Chine, donc – se lance dans la contrefaçon d’armements virtuels.

Explication. Il existe aujourd’hui un bon nombre de jeux en réseau. Ces jeux portent des noms exotiques comme Everquest, Final Fantasy ou World of Warcraft. En gros, le principe est toujours le même. Une fois connecté depuis son ordinateur – et à condition de payer 12 euros par mois d’abonnement le joueur peut se prendre pour un guerrier vaguement médiéval dans un univers façon «Seigneur des anneaux», il s’associe avec d’autres joueurs et, de combat en combat, il conquiert des schmilblicks virtuels tels que cape magique, bourse magique, épée magique, parchemin magique et autres casques magiques qui feront de son personnage un personnage plus fort que les autres personnages. Le but, on l’aura compris, est de conquérir un max de ces trucs afin d’éblouir les copains en leur montrant qu’on a la plus grosse. En somme, rien de nouveau sous le soleil. Il paraît que plusieurs millions de personnes à-travers le monde s’adonnent à ce loisir. Bon. Je suppose que ça les console de se faire engueuler par leur prof, leur femme ou leur chef de service et c’est toujours mieux que s’il le faisait en filant des coups de pied au chien ou des torgnoles à leurs mômes.

Là où ça commence à être drôle, c’est que certains joueurs ont tellement envie d’avoir la plus grosse que, plutôt que de la conquérir (ce qui n’est pas toujours à leur portée), ils trouvent plus simple de l’acheter. C’est-à-dire que, parfois, ceux qui ont réussi à gagner des schmilblicks magiques les revendent aux autres. En vrai. Dans le monde réel. Contre des dollars ou des euros. Sur eBay. Il semblerait qu’un grand nombre de joueurs accros aient ainsi dépensé plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’euros pour équiper leur personnage virtuel du casque ou de l’épée qui vont bien. A l’échelle mondiale, ce marché du schmilblick virtuel frôlerait le milliard d’euros. Déjà, rien que cette info-là suffit à faire faire deux tours de cadran à l’aiguille du conomètre. Mais ce n’est pas fini.

Les Chinois, dont le sens du business n’est plus à démontrer, ont vite compris qu’il y avait là un formidable filon à exploiter. Ils ont donc créé de véritables usines de «fabrication» d’armes virtuelles. Ça s’appelle le «gold farming». C’est assez simple : on va sur un jeu, on repère la façon d'y gagner une épée ou un parchemin magique et on répète la séquence des centaines de fois par jour, sans interruption, pour accumuler un stock virtuel qui sera revendu ensuite. Bien sûr il y a de quoi devenir dingue, mais bon, pas plus qu’en poussant des chariots dans des mines. Et bien sûr, ceux qui font ça ne le font pas pour leur propre compte : ce sont des ados ou de jeunes adultes salariés pour environ 60 euros par mois par des entrepreneurs qui ont eu les moyens d'investir dans les ordinateurs et les connexions Internet nécessaires à la «production» des schmilblicks magiques. La bonne vieille logique capitaliste, quoi. Là non plus, rien de vraiment nouveau.

Donc, une usine chinoise de fourbis virtuels ressemble assez bien à un élevage de poulets en batterie où les cages seraient remplacées par des écrans. Mais il y a mieux. On a appris récemment que, dans les prisons chinoises, certains gardiens obligent les détenus à produire ainsi du magique contrefait. Pendant huit à dix heures. La nuit. Après avoir cassé des cailloux durant la journée, histoire de bien garder la forme. D’après un ancien condamné, ils seraient 300 prisonniers au camp de rééducation de Jixi à fabriquer ainsi casques et épées magiques à la chaîne. Avec des châtiments corporels à la clé si les quotas de schmilblicks ne sont pas atteints. Bref, il semblerait que les travaux forcés chinois se font maintenant sur ordinateur. Ce qui montre bien qu’en Chine, boom économique ou pas, c’est toujours le PC qui dirige, même si ces initiales n’y ont plus tout à fait la même signification.

Sinon, il y a un magazine qui fait dans la pensée profonde et qui s’appelle Philosophie magazine. Ce mois-ci, il consacre sa couverture à l’affirmation : «Je suis ce que je mange». Et pour bien le démontrer, eh bien, la petite demoiselle sur la couverture qui mange de la salade est elle-même roulée dans une feuille de salade géante. Et surtout, fin du fin de l’astuce, elle est toute frisée. Ben oui : frisée, salade... Il fallait y penser. Eux, ils y ont pensé. Ils sont très forts. On ne travaille pas pour rien dans un journal qui s'appelle Philosophie magazine.

Le niveau monte.

06/06/2011

Lesbien descendu ?


Elise et Stéphan(i)e, vainqueuses par double négation.
On voit que ce long week-end est passé : après une inquiétante cessation d’activité pendant trois ou quatre jours, le robinet à conneries fonctionne à nouveau. Et à plein jet. Je trouve ça presque rassurant.

En vrac, la sélection du jour : des tortues, des lesbiennes, un utérus, une ultra-milliardaire, un anniversaire qui tourne à l’émeute et un chat anonyme.

Les lesbiennes, d’abord. Elles se sont mariées ce samedi 4 juin à Nancy, le plus légalement du monde. Non pas que le mariage homosexuel soit autorisé en France, mais celui-ci n’en était pas un puisqu’en fait l’une des deux femmes est un homme. Enfin, était un homme. Avant de changer de sexe. Et comme l’administration, pour une raison ou pour une autre, n’a pas reconnu son changement de sexe, le mariage a pu se faire. Je ne sais pas si vous avez bien suivi ; c’est ce qu’on appelle la double négation, un peu comme «les ennemis de mes ennemis sont mes amis». En sortant de la mairie, arrivés au pied du grand escalier, ni la femme, ni sa conjoint – ou son conjointe – n'a posé la question que tout le monde attendait : «Lesbien descendu ?». Par contre, ils ont déclaré que ce mariage était «un symbole pour tous les millions de gays et lesbiennes qui aimeraient avoir les mêmes droits, pour que la France devienne un vrai pays républicain». Vu que la France ne sera pas une vraie république tant qu’elle n’aura pas autorisé le mariage homosexuel. Ayant dit, les deux tourterelles sont vite allées rejoindre une marche des «Fiertés lesbienne, gay, bi et trans». Histoire d’en rajouter dans le symbole. Parce qu’on peut très bien et en même temps se revendiquer «comme tout le monde» et défiler pour affirmer sa fierté de ne pas être comme les autres. On n’en est pas à une double négation près. D’ailleurs, voyez François Hollande : il demande qu’on le choisisse pour être au-dessus des autres sous prétexte qu’il est «normal». Comme quoi…

Les tortues ensuite. Elles ont envahi la plage d’Omaha Beach, haut-lieu du débarquement. Plus de mille. Très grosses, toutes blanches et avec des carapaces en forme de casques de GI. Ce sont des sculptures d’un dénommé Rachid Khimoune destinées, en ce jour de commémoration, à symboliser «les horreurs infinies de la guerre». C’est lui qui le dit. Avec sérieux. Je suis perplexe : en quoi la tortue est-elle une bestiole particulièrement belliqueuse ? Ou horrible ? Ou victimaire ? Infinie, à la rigueur, à cause de Zénon, d'Achille, tout ça... Vous ne connaissez pas ? Pas grave. De toute façon, je ne sais pas si la tortue était vraiment indiquée pour symboliser des petits gars de l’Idaho ou de la Georgie qui, à peine le pied posé sur la plage, se sont probablement mis à cavaler aussi vite qu’ils l’auront pu histoire d'éviter les pruneaux de tous calibres qui leur pleuvaient dessus par paquets de mille. Mais bon, je ne suis pas artiste. Pardon ? «Rachid Khimoune non plus» ? Ce n’est pas gentil, ce que vous dites là.

Animal suivant : le chat. Celui-ci s’appelle… Ben, justement, il ne s’appelle pas encore. C’est le chat de M. Harper, premier ministre du Canada. M. Harper, qui a du temps à perdre et des voix à gagner, a créé une page Facebook pour demander aux Canadiens de voter afin de donner un nom à son chat. Ils ont le choix entre six propositions, toutes plus connes les unes que les autres. Six mille personnes ont déjà voté. Le Canada est un grand pays démocratique. «Un vrai pays républicain», comme on dit à Nancy quand on vient de s'y marier. 

L’utérus, maintenant. Celui-là aussi est symbolique, comme le mariage et les tortues. Il a été évoqué à l’occasion d’un colloque organisé à la Sorbonne sur l’apport de l’OM dans la société. Oui, oui, l’OM. L’olympique de Marseille. Le club de foot, quoi, vous savez bien, celui que Tapie a rendu célèbre avec des histoires de valises de billets… Eh bien, figurez-vous que l’OM, donc «mérite une véritable analyse scientifique (…) Il a toute sa place en tant qu’objet d’étude unique». C’est ce qu’affirme M. Pierre Dantin, créateur de la chaire «Société, sport et management» à l’université de la Méditerranée. D’où un colloque en bonne et due forme, à la Sorbonne, avec des profs de Sciences Po, un sociologue «directeur de l’Observatoire du Religieux», la socio-star Michel Maffesoli et la pédopsycho-star Marcel Rufo. Lequel s’est illustré en déclarant : «Le nouveau stade Vélodrome sera un utérus où nous renaîtrons tous à chaque match». Je sens que l’analyse scientifique est bien partie.

La multi-milliardaire, c’est Tatie Zinzin, alias Liliane Bettencourt, qui est désormais rabibochée avec sa fille. Les deux braves dames, donc, ont uni leurs voix pour demander qu’il soit mis fin à toutes les enquêtes et autres investigations déclenchées par leurs récents crêpages de chignon. Il faut dire que, à la faveur desdites enquêtes, le trésor public a mis le nez sur trois ou quatre milliards d'euros planqués en Suisse et sur une île oubliée dans le Pacifique, tandis qu’un ministre faisait les frais de l’histoire. C’est ce qui s’appelle des dommages collatéraux. Et ça a rapporté quelques dizaines de millions en redressement fiscal. A mon humble avis, si les deux mamies décident de mettre les pouces, c’est probablement qu’il doit en rester un peu sous la pédale. A la place du TPG de Neuilly, je me dépêcherais de gratouiller tant qu’on le laisse encore faire.

Et pour finir, l’anniversaire. C’est celui de Thessa, une hambourgeoise de 16 ans, qui a posté une invitation à son anniversaire sur Facebook en oubliant de la limiter aux happy-few concernés. Près de 1 500 personnes se sont pointées. Les parents ont appelé la police à la rescousse. Une centaine d’agents sont intervenus. Des poubelles ont été brûlées, des voitures vandalisées, des bouteilles brisées par dizaines et onze personnes arrêtées pour trouble à l’ordre public. Une bien belle fête. Déjà, en 2008, une adolescente de 14 ans avait fait le coup à Brighton. 400 personnes avaient débarqué et avaient finalement vandalisé la baraque des parents avant de repartir se faire de nouveaux amis.

Quatre cents personnes en 2008, mille cinq cents en 2011. Le niveau monte.