09/07/2011

Logement.


Michel Zumkeller, législateur ichtyophile.
«Un départ toutes les minutes et dans toutes les directions». Dans les années 70, c’était le slogan d’une compagnie aérienne française aujourd’hui elle-même partie dans les limbes. Mais ça pourrait tout à fait convenir pour décrire l’état actuel de l’affaire DSK. Pas un jour, pas une heure, pas une minute sans que nous ayons droit à une info qui vient conforter, remplacer, annuler, contredire, mettre en doute, tempérer, renforcer, nuancer ou réduire à néant les infos des heures ou des minutes précédentes. Entre la victime new-yorkaise qui serait une pétasse milliardaire mariée à un caïd de la drogue, la victime française qui pourrait bien être employée par l’UMP, les collègues de la victime new-yorkaise qui auraient pu faillir être aussi des victimes, les associations afro-américaines qui veulent quasiment se porter partie civile ou la direction de l’hôtel qui aurait pu prêter la main à un complot qui aurait pu être organisé par l’Elysée, on n’en finit pas de haleter. Et j’en oublie au moins la moitié. Même Mme Aubry parle de «feuilleton». Sauf que, elle, elle emploie ce mot pour se moquer des péripéties législatives de l’UMP, justement. Comme quoi, elle ne doit pas bien savoir ce qui se passe chez elle. Sinon, à mon avis, elle aurait utilisé un autre terme. En attendant, un restaurant de Neuilly-sur-Seine vient de lancer le sandwich DSK («Double Saucisse Kacher») à grand renfort d’une publicité qui vante «sa grosse saucisse et ses petits oignons». Et qui montre une jeune Noire hésitant à prendre en bouche la saucisse en question. On ne fait pas plus raffiné. Neuilly-sur-Seine, comme chacun sait, c’est le fief de M. Sarkozy.  D’ici à ce que l’Elysée soit accusé d’être derrière le sandwich, y’a pas des kilomètres.

Et puisqu’on parle de bouffe, n’oublions pas cette affaire qui a mis une fois encore en lumière le grand cœur et la gestion philanthrope des distributeurs français. Dans un Monoprix de Marseille, un employé a récupéré pour son compte six melons et deux salades qui avaient été jetés à la benne. Il a été mis à pied avec menace de licenciement. Travaillant depuis huit ans chez Monoprix, à deux ans de la retraite, l’employé de 59 ans est père de six enfants. Déjà, le fait qu’un salarié à deux ans de la retraite en soit réduit à faire les poubelles en dit long sur la politique salariale de Monoprix. L’affaire a fait le tour d’Internet et a déclenché une vague de solidarité. Sans compter le soutien de la CGT locale. Finalement, dans un geste de clémence bien comprise, la direction du magasin a réintégré le salarié. C’est beau, humain et émouvant. Rappelons que Monoprix, qui appartient conjointement à Casino et aux Galeries Lafayette, a réalisé en 2010 un profit de 240 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 3,9 milliards. C’était notre minute : «Qui vole un œuf vole un bœuf».

Tandis que le grand banditisme progresse dans les Monoprix marseillais, les jeunes s’amusent un peu partout en France. Mode nouvelle : ils s’amusent en jouant aux Indiens. Ou aux cow-boys. Enfin, au Far-West. Grandeur nature. A Marseille, une vingtaine de bambins ont ainsi joué à Jesse James. Ils ont bloqué le TER local par un barrage de caddies et de poutrelles puis sont passés à l’attaque, armés de barres de fer. Ne pouvant pénétrer dans le TER, ils se sont rabattus sur un train de marchandises qui arrivait derrière et ont emporté quelques cartons sans grande valeur. Le crime ne paie pas. A Castres, une trentaine d’autres bambins ont attendu la nuit pour jouer à Fort Alamo en attaquant la caserne locale. Gaz lacrymogènes, matraques, pistolet à grenaille… Une enquête est en cours. A Champigny-sur-Marne, c’était carrément «Rio Bravo» avec l’attaque, à deux reprises, du commissariat de police par des bambins turbulents. La préfecture du département a évoqué un léger chahut.

Pendant ce temps, d’autres bambins achevaient de passer le bac. La plus jeune bachelière 2011 s’appelle Victoria, ce qui est assez légitime en l’occurrence. Elle a 13 ans et a obtenu la mention «Très Bien» sans être scolarisée, en faisant ses études chez elle. Peut-être que c’est plus facile comme ça. Sinon, le taux du réussite avant repêchage est cette année de l’ordre de 75%, toutes filières confondues. Après l’oral de rattrapage, il devrait être compris entre 85 et 87%. Ce qui veut dire qu’on a désormais moins d’une chance sur cinq de rater son bac quand on le présente. Le progrès fait des ravages ; rien d’étonnant à ce que le niveau monte. La preuve, c’est qu’une cinquantaine de lycéens un peu partout en France (dont douze sur l’académie de Lille) ont obtenu une moyenne supérieure à 20/20. Oui, oui : supérieure. Grâce aux épreuves facultatives, dont les points viennent s’ajouter à l’ensemble. Seuls rabats-joie, les responsables de la Conférence des Grandes Ecoles (CGE) signalent que «on constate une perte de compétences aussi bien chez les (élèves) les plus forts que chez les plus faibles » et que «les bacheliers manquent de préparation et d’aptitude à l’enseignement supérieur». N’importe quoi. Ces gens de la CGE ne doivent pas lire les bons journaux.

Et que deviennent les bacheliers qui font de belles études ? C’est selon. Certains deviennent députés, et s’intéressent alors aux grandes questions sociales. C’est le cas de M. Zumkeller, député UMP de Belfort. M. Zumkeller vient d’interpeller le ministre de l’Agriculture pour lui demander l’interdiction des boules-aquariums. «À l'époque où le bien-être des animaux est un sujet plus que jamais à l'ordre du jour, il (M. Zumkeller) souhaite savoir pourquoi les «boules aquariums», ces boules de verre «primitives» sont encore vendues couramment à des personnes qui n'ont aucune notion des conditions optimales nécessaires au maintien des poissons d'aquariums. L'absence de filtration, explique M. Zumkeller, très au courant, entraîne au mieux des changements d'eau très fréquents à partir d'eau du robinet souvent et malheureusement non déchlorée. Au bout de quelques semaines, si les poissons ont survécu, ce changement se fera uniquement lorsque l'eau du bocal deviendra nauséabonde ou lorsque les poissons piperont l'air en surface, preuve qu'il faut agir, s'il en est encore temps». C’était notre minute : «l’UMP se préoccupe des mal-logés».

Et puisqu’on est dans la grande politique, évoquons rapidement notre fête nationale qui, cette année encore, tombera un 14 juillet. Cette année, à Paris, le 14 juillet sera à thème. Et quel sera le thème choisi par la mairie de Paris pour célébrer la fête nationale française ? Ce sera : «Les comédies musicales d’Hollywood». Ils ont dû penser, les édiles parisiens, que ça plaira aux touristes.

Il fait quoi, déjà, le niveau ?

02/07/2011

Greffes.


Nicolas Hulot et Nicolas Demorand, greffons en cours de rejet.
Ces derniers temps, l’actualité nous offre un certain nombre de cas de greffes. Des qui marchent, des qui marchent pas, des qui ont failli marcher, des qu’on sait pas encore trop… Petit tour d’horizon.

Les cas de rejet, d’abord. Le premier, c’est chez Europe Ecologie-Les Verts (EELV pour les intimes). En gros, il s’agissait de greffer une sorte de grand poireau d’origine amazonienne, le Hulotus Avantagœsus, dans un champ de pastèques aussi splendidement rouges à l’intérieur que vertes à l’extérieur. Tout semblait bien se passer, les experts se montraient confiants, les responsables de l’opération avaient déjà sorti le champagne quand, patatras !... on apprend mercredi dernier que la greffe a finalement foiré. Le poireau se serait heurté à une espèce de ronce nordique, un peu épineuse et pas franchement comestible, mais apparemment beaucoup plus pastéquo-compatible que lui. Une seconde tentative est prévue pour la semaine prochaine, mais les pronostics sont assez réservés.

Le second cas de rejet a été observé dans un champ de navets cultivé sous serre depuis des années. Je veux parler de la rédaction de «Libération». On sait que ce journal, comme la quasi-totalité de ses petits camarades, perd de l’argent à pleins tonneaux. Pour essayer de redresser la situation, M. Rothschild, actionnaire principal, a décidé de nommer à la direction du titre M. Nicolas Demorand. Or, M. Demorand, agrégé de lettres, licencié en philosophie et ancien prof, est un homme cultivé, plutôt pas bête et, en tant que journaliste, plutôt famillier de l’audio-visuel puisqu’il a fait l’essentiel de sa carrière sur France Culture, France Inter, i>Télé, France 5 ou Europe 1. En outre, il semble effectivement décidé à réduire les pertes financières du journal. Intelligent, sachant écrire, gestionnaire et de culture audio-visuelle… Bref, un profil en rupture complète avec la rédaction de «Libé». Au moment de son arrivée, les journalistes ont voté. M. Demorand a obtenu 118 voix en faveur de sa candidature pour 90 contre. C’était début mars, et c’était déjà serré. Cette semaine, la même rédaction a voté contre lui une «motion de défiance». 79% des 208 journalistes se sont exprimés, et 78% d’entre eux ont voté pour la motion. Et donc, contre M. Demorand. D’après «Le Monde», on lui reproche l’embauche en CDD d’un ancien collaborateur à lui et, je cite, «un projet de refonte des dernières pages du journal (…) plus susceptible d’attirer des annonceurs mais qui ne serait pas en phase avec la culture du journal». Pour mémoire, la «culture» du journal, jusqu'à il y a peu, c’était M. Joffrin, parti depuis quelques mois faire le malheur du «Nouvel Obs». C'est dire l'ampleur du travail. M’étonnerait que M. Demorand reste très longtemps planté dans ce champ-là.

Les tentatives de greffe, maintenant. La première a lieu dans un autre champ de navets, mais nettement plus prospère et en bien meilleure forme : la rédaction de TF1. La chaîne envisage de créer une émission d’actualité satirique. Rien que cette info a de quoi surprendre : de la satire politique, sur la chaîne de M. Bouygues, on n’avait pas vu ça depuis dix-sept ans, lorsque le Bebête Show et les calembours accablants de l’accablant duo Collaro/Roucas se sont interrompus. Mais ce n’est pas tout. Plus remplis que jamais de créativité et d’audace, les Bouygues-boys n’ont rien trouvé de mieux que d’aller débaucher un histrion de la concurrence. En l’occurrence, le dénommé Canteloup qui officie, paraît-il, aux Guignols de l’Info sur Canal+. L’intéressé a accepté sans y voir malice. Fureur de Canal+, qui gueule à la concurrence déloyale et somme ledit Canteloup de choisir son camp. Psychodrame dans un verre à dents. Bon. Moi, c’est pas mes oignons mais, à la place de M. Canteloup, je garderais ma place à Canal. Parce que, TF1, c’est M. Bouygues et M. Bouygues c’est le pote en chef de M. Sarkozy et 2012 c’est dans six mois et c’est l’année où M. Sarkozy va chercher à être réélu. Autant dire que la satire politique, sur TF1, en 2012, elle risque d’être méchamment encadrée. C’est-à-dire, encore plus que sur Canal. Il y a des greffes qui ne valent pas toujours la peine d’être tentées.

L’autre tentative de greffe à laquelle on assiste depuis deux jours est une greffe à EHI (efforts hautement intensifs). Il s’agit de regreffer M. Strauss-Kahn dans le cœur des Français après l’en avoir arraché sans beaucoup de ménagements voilà seulement six semaines. Rappelons que dans les jours qui ont suivi son arrestation, le 14 mai dernier, les Français ont assisté avec un peu d’ahurissement à un véritable torrent de révélations concernant les débordements sexuels de l’ex-grand homme du PS. Entre une journaliste qui avait frôlé le viol, un permanent socialiste expliquant qu’on n’osait pas laisser DSK tout seul avec une femme et une attachée parlementaire racontant qu’elle avait pris des cours de karaté avant d’approcher le bonhomme, c’était à qui aurait l’anecdote la plus croustillante. Tout le monde savait, tout le monde s'était tu mais tout le monde n'en pensait pas moins et depuis fort longtemps. Or, la justice américaine semble remettre en cause l’accusation dont notre DSK est victime. Et du coup, dans la presse française, tout le reste est oublié. Ecoutez bien les journaux, lisez bien les articles : Tristane Banon ? Jamais entendu parler. Les débordements de DSK ? Quels débordements ? Le harcèlement de Mme Nagy au FMI ? Mme qui ? Il a travaillé au FMI, Strauss-Kahn, vous êtes sûr ? La tentative de greffe est menée à vitesse accélérée et sans négliger aucun moyen : c’est la grande opération Mains Propres, la réécriture-express des archives, le remballage de linge à toute berzingue et le Rewind à tous les étages. Marchera, marchera pas ? Les premières indications ne devraient pas tarder à tomber, sous forme de sondages. Affaire à suivre. Mais pour ma part,  je suis assez sceptique.

Enfin, pour conclure sur une note optimiste, il faut évoquer une greffe qui réussit pleinement: celle de l'architecture occidentale sur le sol chinois. J’ai déjà évoqué le savoir-faire enviable de la Chine pour les contrefaçons, savoir-faire qui va jusqu’à fabriquer des fausses armes virtuelles pour jeux vidéo. Eh ben, j’ai appris récemment que les Chinois contrefont carrément des villes entières. C’est ainsi que les huit cents habitants de Hallstadt, petit village autrichien, ont appris qu’une copie conforme de leur patelin est en cours de construction dans la province de Guangdong, au sud de la Chine.  Y compris le lac. Et l’église. Et ce n’est pas le premier cas : on signale déjà la contrefaçon, à trente kilomètres de Shangaï, d’une ville allemande façon Bauhaus et, dans la province de Sichuan, la contrefaçon de plusieurs quartiers de la ville anglaise de Bristol. Avec la cathédrale. Sans oublier certains quartiers de Shangaï même qui imitent Barcelone, Venise ou Oslo. Les Chinois viennent ainsi visiter l’Europe à deux pas de chez eux. Et faire des photos. En souvenir de leur beau voyage.

Vous ne trouvez pas que le niveau monte ?