15/06/2011

Cellules


Jean-Pierre C., ouvreur de cellules.
Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, je vais mettre un peu de couleur dans mon texte. J’ai reçu par Internet une proposition pour assister à une conférence. Il paraît qu’il reste des places. Ça ne m’a pas trop surpris et, lorsque vous aurez vu de quoi il retourne, vous ne le serez sans doute pas non plus. Bref, la proposition était accompagnée d’un texte de présentation. Je vous livre ce texte intégral ci-dessous, entrelardé de commentaires. Et pour que vous fassiez bien la différence entre le texte et les commentaires, le texte apparaîtra en bleu. D’où la couleur. Avouez que je me donne du mal pour vous.

Simplement, comme je ne veux pas faire de publicité pour le «thérapeute» concerné, je mets juste son prénom et ses initiales.

C’est parti !

«La Thérapie Cellulaire Holographique créée  par Jean-Pierre C. est une synthèse entre ses propres recherches, l'Ostéopathie Méthode Poyet, et l'Ostéopathie Bioénergétique Cellulaire Méthode Montserrat Gascón.
Déjà, ça commence mal vu que je ne connais ni ces braves gens, ni leurs techniques. D’ailleurs, je me demande bien par quel cheminement ce mail est arrivé jusqu’à moi. Je dois avoir un copain farceur. Mais en tout cas, avouez que «Thérapie Cellulaire Holographique» ou «Ostéopathie Bioénergétique Cellulaire», ça fait drôlement classe et scientifique. Surtout avec les majuscules.

Jean-Pierre C. se différencie des écoles d'ostéopathie, par son approche microscopique c'est-à-dire cellulaire, de l'être humain. Cette approche permet de mieux comprendre : "Qui soigne qui? Qu'est ce que la maladie? La santé? Comment rétablir la santé? Comment ouvrir nos cellules pour libérer l’âme, la Vie, l'Amour et la Joie, et ainsi goûter au bien-être, et à l'autonomie? Avec quels outils?"
N’en voilà des bonnes questions. Déjà, savoir que le type qui prétend me soigner commence par se demander «Qui soigne qui ?», je ne suis pas certain que ça me mettrait tout à fait en confiance. Mais bon… Ce que je préfère là-dedans, c’est le programme qui consiste à «ouvrir les cellules pour libérer l’âme, la Vie, l’Amour, la Joie». il y a une espèce de jeu de mots entre les «cellules» du corps humain et les «cellules» d’une prison dans lesquelles « l’âme, la Vie, l’Amour, la Joie» seraient prisonniers et attendraient d’être «libérés». Bien entendu, l’idée «d’ouvrir les cellules» du corps n’a absolument aucun sens, mais bon, on n’en est déjà plus à ça près. Notez aussi, au passage, l’apparition soudaine et spectaculaire des grands-mots-qui-font-vibrer (amour, vie, joie) et, là encore, de leurs jolies majuscules.

Savoir qu'une âme (immortelle, omnisciente, omnipotente) aide une âme permet d'accéder aux outils de l'âme, et d'avoir des possibles tout autres : d'accès à l'information (mémoires cellulaires), et d'action thérapeutique (efficacité du verbe créateur, de l'amour et de la gratitude). Quand "l'âme agit", elle créé "la magie".
Là, ça y est, on est passé du jargon pseudo-scientifique au jargon religieux, sans que le second ait d’ailleurs plus de sens que le premier. Le virage habilement négocié à la fin du paragraphe précédent nous amène tout naturellement à parler de l’âme. Soigner, c’est causer d’âme à âme. D'ailleurs, tous ceux qui sont passés aux service Urgences d'un hôpital le savent bien. Au passage, on apprend que cette âme est «omnipotente» et que l’action thérapeutique de Jean-Pierre C. se fait par «l’efficacité du verbe créateur». En clair : je vous soigne avec du blabla. Ce M. C. a dû s’intéresser à la psychanalyse. Et à en juger par son jeu de mot terminal («l’âme agit / la magie»), je dirais même qu’il a dû se promener chez les lacaniens. Sinon, on apprend aussi que l’âme a des outils, comme le premier plombier venu (enfin, «plombier venu», c’est une façon de parler : on sait bien qu’il ne vient jamais) et que l’emploi de ces outils nous fournit «des possibles tout autres». Tout autres que quoi, c’est au lecteur de l’imaginer… N'empêche, ça valait la peine de venir !

Jean-Pierre C. reconnait également, sur le plan macroscopique, le rôle premier des impacts émotionnels sur le "cœur-péricarde". Le péricarde est une enveloppe qui contient et protège le cœur et les racines des gros vaisseaux sanguins. La moindre réaction du péricarde aux émotions affecte directement tout notre organisme. C’est une clé majeur pour comprendre l’installation de la maladie psychosomatique, cause de la quasi totalité des pathologies, et donc leur solution. Harmoniser le péricarde permet également de reconnecter corps âme et Esprit, et d’ouvrir tous les chakras.
Paragraphe où l’on apprend que M. C. «reconnaît» (c’est bien gentil à lui) une découverte scientifique majeure : ce qui se passe au niveau du cœur affecte l’ensemble de l’organisme. C’est nouveau, ça vient de sortir et Hippocrate ne s’en était jamais douté. Mais ce n’est pas tout. De cette découverte, il fait une «clé majeur(e)» et comme une clé, ça sert à ouvrir, eh ben, il ouvre. Les chakras. Tous les chakras. Ça permet d’introduire dans le texte la pincée de spiritualité indienne qui lui faisait si cruellement défaut. Et puis, «ouvrir les chakras», dans ce genre de littérature, c’est pour ainsi dire une figure imposée. Surtout si on dispose d’une clé. Surtout une clé majeure. Clé qui, d’ailleurs, sert aussi à reconnecter. Là, reconnaissons-le, la métaphore est moins maîtrisée. Mais bon, on ne peut pas à la fois faire dans l'ostéopathie holographique et s'y connaître en bricolage.

Avec sa compréhension de la structure holographique du corps humain, Jean-Pierre C. donne à la THÉRAPIE CELLULAIRE HOLOGRAPHIQUE deux atouts majeurs :
- Chaque point du corps étant l'expression du corps tout entier (et non pas de ce point), pour qu'un point du corps soit parfait, il est nécessaire de soigner le corps tout entier. D'où la nécessité d'harmoniser toutes les lésions (osseuses, organiques, péricardiques) et toutes les cellules en une séance. Aujourd’hui, il devient possible d’aller dans cette direction, grâce aux outils de l’âme.
- Les tests des épaules et des hanches permettront de vérifier l'efficacité de chaque action thérapeutique en cours de protocole, et si tout a bien été harmonisé en fin de séance.
Là, on entre dans le dur : M. C. nous dévoile ses principes thérapeutiques. Et ça vaut le déplacement. En deux mots, il utilise les «outils de l’âme» pour «harmoniser toutes les lésions» et «toutes les cellules» afin de «soigner le corps tout entier». Ce qui permet à chaque point du corps d’être «parfait». Rien que ça. Et en une seule séance. Payante. Ça, il ne le dit pas, mais ça va de soi. D'autant qu'il réside et exerce en Suisse. Vous me direz : si il vous soigne en une seule séance, fût-elle payée cher et en francs suisses, il ne va pas aller très loin, M. C., question chiffre d’affaires. Sauf qu’il ne promet pas de vous guérir, mais seulement «d’aller dans cette direction». Pas folle, la guêpe ! Et il a même des tests, les célèbres «tests des épaules et des hanches» pour vérifier que, en fin de séance, vous êtes bien ouvert, harmonisé et reconnecté tout partout bien comme il faut. Ce qui permet, au cas où pas, de vous proposer une deuxième séance.

Cet outil thérapeutique du 3ème millénaire est également une clé pour effectuer le passage d’un fonctionnement orthosympathique (dont nous sommes prisonniers) à un fonctionnement parasympathique, c’est-à-dire le passage : de la survie à la Vie, de la guerre à l’Amour, de la peur à la Joie. L’enjeu est de retrouver notre véritable identité, et notre souveraineté pour créer une réalité toute autre.» 
Fin du baratin. On conclut sur le «3ème millénaire» (ça fait moderne, et même futuriste) et on promet la belle vie en utilisant, encore une fois, les grands-mots-qui-font-vibrer, toujours assortis de leurs majuscules. Notez aussi l’idée de «prisonniers» qui fait bien écho aux «cellules» de tout à l’heure ; et l’emploi de mots rares et complexes (orthosympathique, parasympathique) employés en dehors de leur véritable signification. Enfin, admirez la promesse de «retrouver notre véritable identité» (là, c’est «véritable» qui fait le gros du travail), formule qui renvoie tout autant aux traditions mystiques de tout poil qu’à l’idée que nous avons tous en nous un Superman qui ne demande qu’à se révéler sous notre banale apparence de Clark Kent. Afin, pourquoi pas, de «créer une réalité toute autre». Fermez le ban !

Il y aurait encore plein de choses à dire sur ce morceau de littérature. En fait, chaque mot ou chaque expression mériterait un commentaire. Mais bon, vous savez ce que c’est, on a un peu l’impression de se mettre à ranger les tôles dans dix à douze hectares de casse automobile : au début, on est plein d’enthousiasme et puis, au bout d’un moment, on fatigue. D’autant que, des comme ce M. C., en ce moment, ça prolifère. Tiens, pas plus tard que la semaine dernière, j’ai reçu un mail me proposant de m’associer à une gigantesque prière collective. Partout sur la planète, le même jour à la même heure (et sans tenir compte du décalage horaire, évidemment, on ne saurait penser à tout), nous étions tous invités à adresser une pensée destinée à l’eau de Fukushima. Oui, oui : à l'eau. Pour lui demander pardon. Et l’assurer de notre amour. Je vous jure que c’est vrai.

Le niveau monte.

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